Les poètes portugais exilés ou immigrés en France, des années 1960-70 à nos jours Dominique Stoenesco “Nenhum lugar é onde estamos. A vida é para passar.” (Antônio Brasileiro, “Dedal de areia”) Environ un million de Portugais vivent actuellement en France, constituant ainsi une des plus importantes communautés étrangères de ce pays. Cela est le résultat de plusieurs vagues d’immigration successives depuis la fin du XIX e siècle, celle des années 1960-70 étant de loin la plus forte. Immigrés économiques ou exilés politiques, les poètes portugais de France expriment, qu’ils soient populaires ou érudits, les sentiments et les messages propres d’une communauté vivant entre deux rives, entre deux mémoires. Diffusée initialement à travers les radios libres ou clandestines, puis publiée dans d’éphémères éditions associatives, grâce au dur travail de quelques francs-tireurs agissant hors des circuits politiques et intellectuels reconnus, l’expression poétique portugaise en France tente de gagner une (in)certaine “visibilité”. La presse portugaise en France et les premières publications des poètes exilés ou immigrés À la suite de l’arrivée massive de familles portugaises, à partir des années soixante, le nombre d’associations croît fortement et leurs publications périodiques aussi. En quarante ans, plus d’une centaine de bulle- 34 tins, de revues ou de journaux portugais sont parus en France. Beaucoup ont eu une existence éphémère. Actuellement, le nombre de bulletins associatifs, de revues ou de journaux portugais ayant une parution régulière ne dépasse pas la trentaine. Le journal de l’immigration portugaise en France qui, tant par la qualité de son contenu que par sa longévité (1965-1996) aura joué le rôle le plus important dans le mouvement associatif et dans ses rapports avec la société d’accueil sera Presença Portuguesa, avec de nombreux articles publiés en langue française. Durant plus de trente ans, ce journal, qui atteindra un tirage élevé de 10 000 exemplaires, a consacré une place importante aux questions liées aux activités culturelles portugaises en France, notamment à l’expression poétique des Portugais immigrés, travailleurs ou exilés politiques (maçons, concierges, étudiants, travailleurs agricoles, professeurs, etc.). Érudits ou populaires, dans leurs poèmes ils évoquent principalement leur fuite de la misère et de la guerre, leur pays natal, la famille, la saudade, l’amour, leurs espoirs ou leurs désespoirs. Outre Presença Portuguesa, deux autres périodiques publiaient régulièrement les poètes de l’immigration, en portugais et en français : la revue mensuelle Publi-Portugal (années 80-90), contenant des informations, des chroniques, des reportages et des analyses concernant divers domaines (vie sociale et politique, littérature, lusophonie, vie associative, sports, etc.) et Traço-de-União (1985-1992). Peu de temps avant la Révolution du 25 avril, un groupe de militants associatifs portugais établis en France, dénonçant le fort conservatisme qui régnait au sein de leurs compatriotes émigrés, et adoptant des positions radicales face à la dictature salazariste, LATITUDES n° 27 - septembre 2006 publie à Lisbonne les Cadernos de Livre (?) Expressão - l’interrogation leur appartient - avec le sous-titre ironique, “publication non périodique”, dont le premier numéro paraît en janvier 1972, comprenant 100 pages. Ce fut d’ailleurs l’unique numéro qui arriva jusqu’à Paris, tous les autres furent saisis par la PIDE. Influencés par le courant anarchiste portugais (ils citent Bakounine en épigraphe), surréalistes parfois dans leur expression artistique, Saldanha Gama, Osório, Joaquim Serrano, João Franco, José Carlos González et Manuel Madeira nous offrent, dans ce numéro exceptionnel, de très beaux poèmes en français et en portugais. Nous citons deux vers de Osório dans lesquels il tente une définition de l’art: “O privilégio artístico é um luxuoso tapume de papel / a arte só será suportável quando deixar de ser arte” (Le privilège artistique est un luxueux masque de papier / l’art ne sera supportable que lorsqu’il cessera d’être art). En juin 1983 paraît le premier numéro de Peregrinação - revue trimestrielle des “Arts et des Lettres de la diaspora portugaise”, - fondée par un groupe d’intellectuels portugais vivant en France et en Suisse et qui deviendra la plus importante revue publiée par des Portugais de l’étranger. Jusqu’en octobre 1990, date de parution de son dernier numéro, elle sera le lien le plus important entre les communautés portugaises émigrées et aussi une référence incontournable. Peregrinação a eu une intense activité également en matière d’édition, publiant 24 livres de différents auteurs émigrés, allant du roman à l’étude spécialisée, en passant par le théâtre et la poésie. Parmi les poètes que nous présentons ci-dessous, António Topa, Liberto Cruz et Maria Graciete Besse firent partie de ceux qui ont publié dans Peregrinação. Au début des années 90, l’ACAP 77 (en Seine-etMarne) a été la première, et l’unique, association portugaise en France à entreprendre une action d’édition (y compris des livres de poésie), en portugais et en français, avec un total de 9 livres publiés entre 1991 et 1997. En 1997, paraît à Paris la revue Latitudes-Cahiers lusophones. Fondée par un groupe de lusophones et de francophones liés au monde luso-afro-brésilien, Latitudes consacre un espace important à la poésie, notamment à travers la publication de textes inédits, d’entretiens et de comptes rendus de livres de poésie. Parmi les poètes de l’immigration portugaise déjà publiés dans cette revue, nous pouvons citer : Maria Graciete Besse, António Topa, Maria da Conceição Vasconcelos, Cristina Semblano, Manuel Madeira, LéaNore, Teresa Rita Lopes, António Caetano, Laureans, José Carlos González, José Brites, Marília Gonçalves, José Augusto Seabra, Isabel Meyrelles, Lídia Martinez et Lurdes Loureiro. Enfin, mentionnons l’existence de l’hebdomadaire bilingue franco-portugais, Luso Jornal, dont le premier numéro est paru en septembre 2004 et qui consacre lui aussi une place importante à l’actualité culturelle des communautés lusophones vivant en France. n° 27 - septembre 2006 LATITUDES Lurdes Loureiro, Angélina da Ascenção et Joaquim Alexandrino, membres de la direction du C.P.L.P. - photo D. Stoenesco. Les radios locales portugaises, la création du Cercle des Poètes Lusophones de Paris et la publication de l’“Antologia do C.P.L.P.” Les radios locales ont été le prolongement naturel des activités du mouvement associatif. À partir de 1982, avec la fin du monopole de l’État sur les ondes hertziennes, un nombre considérable d’associations portugaises va s’intéresser aux radios locales. Mais, en 1987, le gouvernement français décide de ne pas renouveler l’autorisation d’émettre aux trois radios associatives qui émettaient 24 heures par jour (Radio Club Portugais, Radio Portugal no Mundo et Radio Eglantine) et attribue une unique fréquence au projet d’une radio commerciale présenté par l’Association Luso-Française Audiovisuelle (Radio ALFA). Parmi les trois radios fermées, Radio Club Portugais, dont le siège se trouvait à Villejuif (banlieue parisienne), fut la première à donner la parole aux auditeurs, en direct, dans le cadre d’un programme de poésie. Quotidiennement, des dizaines d’auditeurs portugais participaient, lisaient leurs poèmes, souvent des témoignages. Plus tard, dans les années 90, Radio Alfa crée également un programme de poésie intitulé “Quimera da noite” (La Chimère de la nuit) . En 1998, le coordinateur et animateur de cette émission, Ricardo Botas, propose aux auditeurs les plus intéressés par les chimères de “transformer les mots dits en mots écrits”. Et c’est ainsi que naît le Cercle des Poètes Lusophones de Paris, dont l’un des objectifs était d’éditer le 1 er volume d’une anthologie de poètes lusophones immigrés ou exilés en France. Les auteurs de cette anthologie (“Antologia do Círculo dos Poetas Lusófonos de Paris”, éd. Lusophone, Paris, 2004, 328 p.) ont eu l’excellente idée de publier, à côté des poèmes, les textes biographiques concernant chaque poète. En effet, la somme de chacun de ces parcours individuels constitue une mémoire collective d’une grande richesse. Et en ce sens, cette anthologie n’est pas seulement un livre de poésies, elle est aussi un livre d’histoires et d’Histoire. 35 “Saudades não pagam dívidas” (Les regrets ne servent à rien) - recueil de textes d’expression émigrée Traduisant le sentiment de milliers d’hommes et de femmes qui travaillent durement sur le sol français, “Saudades não pagam dívidas” est un recueil d’œuvres d’expression émigrée, édité à Paris, en 1980, avec le concours de l’Association l’œil étranger. Il s’agit d’une œuvre d’expression populaire, comprenant des poèmes recueillis dans les associations ou auprès de poètes anonymes par Yvette Tessard, Manuel Madeira et Alberto Melo. Les thèmes évoqués apparaissent clairement à travers ces quelques titres: “O salto” (le saut, le passage clandestin de la frontière), “Despedida” (les adieux), “A terra prometida” (la terre promise), “Máquinas alugadas” (des machines louées), ou encore “A Revolução portuguesa” (la Révolution portugaise). Nous avons extrait de la partie intitulée O salto ce passage du long poème “A Ilíada do Virgílio” (190 quatrains), écrit par Virgílio Joaquim Antunes, inspiré de la tradition orale, rappelant les chants à la desgarrada au Portugal ou les repentistas du Nordeste brésilien, dans lequel l’auteur nous raconte sa propre odyssée: A vinte e nove de Fevereiro A minha terra abandonei Não desejo ao meu inimigo Os martírios qu’eu passei ..... 36 E depois de todos juntos Multiplicou a aflição Entrámos 27 homens Para dentro de um camião ..... Pão seco foi o que nos deram E chouriço a acompanhar Quem sabe se era de cão Que ninguém lhe pôde pegar Neve com mais d’um palmo d’alto Lá vão os desventurados Subindo e descendo serras Emigrantes desgraçados Seguimos então o guia E as boas falas que nos deu E numa casa mui grande Lá para dentro nos meteu ...... As três e meia da tarde A Paris fomos parar Era tal o movimento Não conseguimos desembarcar Não julguem qu’em França os frangos* Se apanham no capoeiro É num deserto ou a voar Olho vivo e pé ligeiro Não é abanar uma árvore E encher um saco de caça Para arranjar dois tostões Sabe Deus o que se passa *Jeu de mot avec “francos” LATITUDES n° 27 - septembre 2006 Vozes dos emigrantes em França” (Voix d’émigrés en France) - anthologie poétique bilingue Avant que ne commencent à apparaître en France, à la fin des années 80, des maisons d’édition qui publient des auteurs portugais immigrés ou exilés, il y avait déjà ici ou là quelques publications à compte d’auteur. En poésie, la publication de ce type la plus importante a été l’anthologie poétique bilingue, “Vozes dos emigrantes em França - 1960/1982” (Voix d’émigrés en France), par António Cravo et João Rebelo Heitor. Ce sont environ 150 poèmes pris dans des bulletins associatifs et dans des journaux, principalement dans Presença Portuguesa, ou bien recueillis à l’occasion des concours scolaires, des récitals de poésie, des fêtes, etc. Machado, écrivent directement en français. Pendant les années 70-80, une maison d’édition parisienne bien connue, La Pensée Universelle, avait publié quelques auteurs immigrés, parmi lesquels le poète portugais d’origine espagnole, José Carlos González (“Les correspondances”, 1971) et aussi Laureans (“Poésie d’un fou”). Enfin, les Éditions Panthéon, entre 1994 e 1999, ont également publié trois livres de Manuel Sousa Fonseca. Les Éditions Lusophone de Paris Les Éditions Lusophone sont la seule maison d’édition en France créée par un immigré portugais, en plein Quartier Latin. L’aventure commence en 1988, quand João Rebelo Heitor ouvre la Librairie Lusophone. En 1998, cette librairie démarre aussi une activité éditoriale, en créant les Éditions Lusophone et publie des traductions en français des œuvres portugaises, depuis les grands classiques jusqu’aux auteurs modernes, en passant par les auteurs lusophones immigrés en France. Parmi ses publications plus récentes de poètes portugais immigrés, nous pouvons en citer quatre : dans la collection Poésie bilingue, en 2000, sont parus les poèmes de António Topa, “Sur les lèvres du silence” (Pelos lábios do silêncio) ; dans la collection Témoignages, en 2002, sont publiés “Âncora estilhaçada” (Ancre déchiquetée), de Paula Gonçalves ; en 2003 “Olhares no fio do tempo” (Regards au fil du temps), de Manuel Sousa Fonseca, avec des poèmes en français et en portugais; en 2004 “A minha língua” (Ma langue), de Cristina Semblano, avec le sous-titre “Confessions en portugais et en français”. Enfin, en octobre 2004, en co-édition Éditions Lusophone / Cercle des Poètes Portugais de Paris, est publiée l’“Antologia do Círculo dos Poetas Lusófonos de Paris”. Les poètes portugais, immigrés ou exilés, dans les éditions françaises Pour des raisons essentiellement commerciales, mais aussi culturelles, les éditeurs français qui publient des œuvres de poètes portugais immigrés en France sont très rares et en général ce sont de petites maisons d’édition. Ces dernières années, les Éditions Lanore (Paris) ont publié deux livres de poésie d’Alice Machado, dans la collection “Alchimies poétiques” : “Éclats” (2000) et “L’agitation des rêves” (2002). Notons que, soit la poésie, soit le roman, les éditeurs français publient les auteurs portugais toujours en français, ce qui est compréhensible et même souhaitable. D’ailleurs, certains de ces auteurs, comme c’est le cas pour Alice n° 27 - septembre 2006 LATITUDES Les poètes portugais exilés ou immigrés en France L’exil des intellectuels portugais en France est une constante dans l’histoire des relations franco-portugaises. Nous pouvons rappeler brièvement, à partir du XIX e . siècle, quelques exemples illustres. Ainsi, la contre-révolution absolutiste au Portugal avait poussé à s’exiler des écrivains comme Alexandro Herculano ou Almeida Garrett. C’est à Paris précisément qu’Almeida Garrett (1799-1854), homme politique, poète, romancier et auteur dramatique, publia, en 1825, le recueil de poèmes “Camões”, devenu l’acte de naissance du romantisme portugais. Il remit au goût du jour les grandes figures littéraires médiévales en exarcerbant le sentiment de fieté nationale et écrivit les plus ardents poèmes d’amour du romantisme portugais. S’inscrivant nettement dans le courant libéral et humaniste du second romantisme français, Garrett considérait la révolution littéraire comme partie intégrante de la révolutuion sociale. Paradigme du poète exilé, António Nobre, auteur de “Só” (Seul), publié en 1892, vécut également de nombreuses années à Paris, ville qui lui inspira le livre “La Lusitanie au Quartier Latin”. Par ailleurs, en pleine effervescence moderniste, arrive à Paris le poète Mário de SáCarneiro. Autre figure importante des lettres portugaises, Vitorino Nemésio, lecteur à Montpellier, rend un bel hommage au pays hôte en écrivant le poème “Prière portugaise à la France”. António Sérgio, Raúl Proença et Jaime Cortesão furent également parmi les exilés portugais, malheureusement 37 méconnus en France. Au Colloque “Images réciproques France-Portugal”, organisé par l’Association pour le Développement des Études Portugaises, Brésiliennes, d’Afrique et d’Asie lusophones (Paris, 1992), José Augusto Seabra, ex-ambassadeur du Portugal auprès de l’UNESCO, poète luimême, éxilé à Paris durant les années 60, constatait joliment : “Ainsi se tisse un dialogue poétique entre la France et le Portugal”. Parmi les poètes portugais exilés ou immigrés en France à partir des années soixante, seul un très petit nombre d’entre eux avait commencé à écrire et à publier de la poésie avant leur départ. Les raisons de leur départ sont connues : ils fuyaient un pays engagé dans une longue guerre coloniale, opprimé par la dictature salazariste et ruiné économiquement. C’est dans ce contexte politique et social que certains éléments de la littérature universelle, tels que l’évocation du pays natal et de ses paysages, le déracinement, la solitude, les souvenirs d’enfance, le spleen (la saudade), le destin (le fado), l’amour ou la foi religieuse vont trouver une place de choix et nourrir la poésie des auteurs portugais que nous présentons ci-dessous dans un bref aperçu. Certains poètes évoqués dans le présent article ne sont ni exilés politiques, ni immigrés économiques, mais nous les avons sélectionnés car à travers leurs activités professionnelles et intellectuelles ils assument et témoignent de leur appartenance à une communauté - sans la connotation radicale de ce terme. Par ailleurs, pour simplifier, lorsque nous utilisons l’expression “poètes portugais immigrés” nous incluons aussi les poètes “français d’origine portugaise” nés en France, ou “lusodescendants” (mot que nous employons avec réticence car il ne traduit qu’un élément de l’identité). Ainsi, quel que soit leur statut, nous avons pris le parti de les présenter selon l’ordre chronologique de naissance. Enfin, précisons que seules les limites matérielles du présent article ne nous ont pas permis d’aborder un nombre plus important de poètes. José Terra (né en 1928, originaire de la province du Minho) a abandonné le Séminaire à l’âge de 17 ans, puis s’est formé en Philologie Classique, à Lisbonne. A été professeur titulaire à l’Université de Paris IV - Sorbonne et a écrit de nombreuses études sur l’histoire et la littérature portugaises, notamment “João Rodrigues de Sá de Meneses et l’humanisme portugais”, sa thèse d’État, en 1984, sous la direction du professeur Georges Boisvert. Son premier livre de 38 poésie, “Canto da Ave Prisioneira” (1949), fut appréhendé par la Censure. José Terra a été membre cofondateur des revues littéraires Árvore et Cassiopeia et il a de nombreux poèmes publiés dans diverses anthologies. Le poème “Insegurança” nous rappelle cette sombre période de l’histoire de son pays qui l’obligea à s’exiler : Tenho medo de ti, ó meu irmão, Dessas palavras mansas tenho medo, Se até as pedras ouvem o segredo Guardado nos confins do coração ... Tenho receio, amor, dessa canção Que tu me cantas, desse teu enredo Será teu corpo a nau para o degredo. Minha mãe! minha mãe! não te confio O meu destino e é vão esse teu pranto! Não trairás acaso o filho amado? Não me conheço nessa voz que rio, Espreitam-me os assassinos, e, no entanto, É um criminoso o que ficar calado! Fernando Echevarría (né en 1929, à Cabezón de la Sal), a suivi les cours de Lettres et Sciences Humaines au Portugal, s’est exilé à Paris en 1961. Il débute comme poète en 1956, avec un recueil intitulé “Entr e dois anjos” (éd. Afrontamento). F. Echevarría a de nombreux livres publiés en France et au Portugal et a obtenu plusieurs prix, parmi lesquels le Grand Prix de Poésie de l’Association des Écrivains Portugais, pour son recueil “Sobre os mortos” (éd. Afrontamento, Porto, 1991). Paradoxalement, les mots clés de ce livre sont : “transparence” ou “lumière”, que l’on retrouve dans cet extrait de “Sobre os mortos” : Quando morremos o lugar alarga a sua transparência. Havermos sido onde connosco ele morre se levanta, de forma à morte aparecer um rio que, em tudo quanto passa, santifica o passar e acende o sítio. Fernando Ilharco Morgado (né en 1929, à Coimbra), a effectué des études secondaires en Angola, devient ingénieur et en même temps collabore dans de prestigieuses revues littéraires telles que Vértice et Seara Nova. Son premier livre de poésie date de 1955 (“As vozes e a madrugada”, Coimbra) et certains de ses poèmes font partie du disque de Luís Cília intitulé “La poésie portugaise de nos jours et de toujours”, Paris, 1971. L’idée obsédante de retour aux sources, sentiment constamment présent chez les poètes exilés ou émigrés, apparaît dans ces quelques vers de F. Ilharco Morgado : Não sabiam distinguir as fronteiras. E cantavam o regresso à natureza, a derradeira viagem ao mais longe de amanhã. (Extraits de “Regresso”, in Rio do tempo) LATITUDES n° 27 - septembre 2006 Angélia da Ascensão (née à Paris, en 1933), rentre au Portugal avec ses parents à cause de la guerre de 39-45, fréquente l’école primaire de Loulé qu’elle quitte à l’âge de 11 ans. En 1961 elle revient en France. Autodidacte, a pris goût pour la lecture et la poésie. A participé dans de nombreux programmes consacrés à la poésie dans les radios portugaises de la région parisienne. La plupart de ses poèmes sont écrits directement en français. António Caetano, poète du C.P.L.P. - photo D. Stoenesco. Isabel Meyrelles (née en 1929, à Matosinhos, près de Porto), se lie au mouvement des surréalistes à Lisbonne, puis vient s’installer à Paris en 1950 où elle suit des études (Sorbonne et Beaux-Arts). I Meyrelles a une double activité de sculpteur et de poète. En littérature, son premier livre de poèmes, “Em voz baixa”, date de 1951; en 1971 elle organise une “Anthologie de la poésie portugaise” (éd. Gallimard). Elle est aussi la traductrice de nombreux auteurs portugais et brésiliens, notamment de Jorge Amado. Ce court poème, intitulé “Ile Saint-Louis”, tiré d’un recueil publié en 1954, sous le titre “Palavras nocturnas”, illustre bien la capacité de l’auteur à exprimer des sentiments profonds dans une extrême simplicité : Farei do silêncio uma proa de barco da tua ausência um rio d’árvores afogadas. António Vicente Campinas (né à Vila Nova de Cacela, en Algarve), son activité de militant antifasciste lui a valu la prison, après une condamnation par les tribunaux de Salazar. En 1961 il s’exile en France, puis rentre dans son pays natal aussitôt après la chute de la dictature, le 25 avril 1974. Entre autres activités, Vicente Campinas a été libraire, et comme poète il est l’auteur de plusieurs livres, dont le recueil “Antemanhã da Liberdade”. Joaquim Alexandrino (né en 1932, à Coruche, environs de Santarém), a dû quitter très tôt l’école pour aller travailler comme gardien de troupeaux de taureaux dans les plaines du Ribatejo. En 1965, il arrive en France et devient ouvrier dans la construction civile. Une dizaine de ses poèmes figurent dans l’“Antologia do C.P.L.P.” Chez Joaquim Alexandrino, le retour aux sources est également une préoccupation constante, comme s’il devait déjà se préparer pour cet ultime voyage. Il l’exprime dans le poème “Saudades do meu Ribatejo” : Ó! Que saudades eu tenho da minha borda d’água De quem eu ainda não me esqueci Hoje ao contar toda a saudade sinto mágoa Vivendo longe mas cada vez mais perto de ti Dá-me lá uma sepultura mesmo num caixão de tábua Nesse tão belo torrão onde eu um dia nasci. n° 27 - septembre 2006 LATITUDES António Caetano (né en 1933, à Baleizão), a passé quelque temps dans les prisons de la PIDE pour avoir pris part aux mouvements paysans de 1954, en Alentejo. Et c’est en prison qu’il a écrit quelques uns de ses poèmes, dans le plus pur style de la poésie populaire orale. Après un emploi dans les chantiers navals de Lisbonne, il quitte le Portugal et arrive en France en 1967, où il travaillera comme maçon et aura en même temps une intense activité de militant associatif. Nous découvrons ses poèmes à travers l’émission “Quimera da Noite” (Radio Alfa) et aussi dans la revue Latitudes (n°5, avril 1998). Flor Campino (née en 1934, à Tomar), formée en peinture à l’École des Beaux-Arts de Porto, résidente en France. En 2000 elle a publié le recueil de poèmes “A aresta das folhas” (éd. Afrontamento, Porto). Do sul te veio a ausência. Lenços brancos as clareiras desprendem, invioláveis, por onde a luz captura o sono e esplêndida te deixa, e solitária. António Cravo (né en 1935, à Salselas, province de Trás-os-Montes), a commencé à travailler dans les champs dès son plus jeune âge et ce n’est qu’à 20 ans qu’il a pu envisager des études. Arrivé à Paris à l’âge de 40 ans, il est embauché dans la construction civile et effectue en même temps des études en Sociologie, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Récemment, il a publié au Portugal un livre sur le patrimoine rural de son village natal, intitulé “Museu rural de Salselas”. Engagé dans le mouvement associatif portugais, A. Cravo a publié plusieurs articles et études sur l’immigration portugaise en France et aussi plusieurs livres de poésie, parmi lesquels “Os desenraizados” (Paris, 1982, Édition de l’Auteur). Quelques uns de ses poèmes figurent dans l’anthologie “Poètes sans frontières” (éd. Nouvelle Pléiade, Paris, 1994) et dans l’“Antologia do 39 C.P.L.P. », d’où nous tirons ce poème intitulé « Correr », où l’auteur devient un observateur critique du monde moderne : Tribolite, Anémona, Dinossauro, “Cro-magnon”, Satélite, Leme, Sonda, Laser, Computador, Observador, E o Amor? Liberto Cruz (né en 1935, à Sintra), a été un des membres fondateurs de la revue Sibila et critique littéraire au Jornal de Letras e Artes. S’est exilé en France en 1967 et a été à l’origine de la création du cours de Littératures luso-africaines à l’Université de Rennes, en 1969. Puis a exercé les fonctions de conseiller culturel à l’ambassade du Portugal, à Paris. L.Cruz a publié de nombreux recueils de poésie depuis 1956. En 1986 il publie “Jornal de Campanha” (éd. Peregrinação), livre de poèmes dans lequel il évoque la guerre coloniale en Afrique et pour lequel il obtint le prix Cidade de Lisboa. Son témoignage est fait de “fragments de vers”, brefs et austères, comme si face au néant, face à la brutalité de la guerre, l’éloquence consistait précisément à dire les choses en peu de mots, par opposition à la rhétorique officielle : Meu irmão sem armas, meu amigo : aqui te deixo morto, Sob esta pedra, como dantes deixavam os velhos. Irremediavelmente. Vermelha terra, estranha gente, homens nossos irmãos. Quando acabará este teatro-em-drama e recolherei a casa? Onde? Como? Quando ? Rogério do Carmo (né en 1935), fils d’une famille nombreuse, a quitté le Portugal en 1960, a été animateur dans plusieurs radios portugaises de Paris et a publié en 1992 “Sombras” (Édition de l’Auteur), qui est un recueil de ses poèmes écrits entre 1952 et 1987. Il y évoque le départ de son pays natal à travers des sentiments qui vont de la fatalité à la résignation, ou à la mélancolie, sur un faux mode épique et maritime, comme dans le poème “Monólogo”, de son livre “Brisas” : Tirei o passaporte, comprei um bilhete só ida e fui pelo mundo fora, num barco que não ancóra, acostando de fugida... Assim, mares naveguei, searas cavalguei, horizontes desvendei, em busca da minha vida... Agora, por fim, depois da grande aventura, de tumultuosos amores, fui dar comigo num jardim, na solidão que perdura, encostado a uma árvore, a dialogar com as flores... 40 Teófilo Afonso (né en 1935, à Quintanilha, près de Bragança), a fait l’école primaire au Portugal et son service militaire à Goa, avant de travailler comme ouvrier agricole. En 1967 il émigre vers la France. Sa carrière de poète débute en 1992 avec la publication de “Saudades do meu país” (Édition de l’Auteur), puis il participe régulièrement à des émissions de radio consacrées à la poésie. Sa poésie, autobiographique et empreinte de la nostalgie permanente de son pays natal, est aussi le témoignage de ceux qui, comme lui, ont dû rompre les menottes salazaristes et goûter le pain noir de l’émigration, comme dans cet extrait du poème “A Fome” : Quarenta e seis anos se passaram, Muitos escolhos se afrontaram No interior do alto mar! Presto homenagem aos meus irmãos, Fossem ou não fossem cristãos, Mortos nas guerras do Ultramar! Mais, lorsque le poète envisage le retour (poème “Visita à minha terra”), celui-ci se transforme en désillusion : Do estrangeiro vim agora, Ao estrangeiro estou a chegar. Valha-me Nossa Senhora! Nas saudades que tenho nesta hora, Poucos me connhecem no meu lugar. Manuel Alegre (né en 1936, à Águeda, près de Aveiro), est un des poètes portugais les plus connus et les plus lus actuellement. Durant les années 60 il a partagé la vie de ses compatriotes émigrés dans le fameux “bidonville de Champigny”, dans la banlieue parisienne. Il est l’auteur de plusieurs poèmes sur cette période (“Paris não rima com meu país”, ou “Portugal em Paris”) et possède une vaste œuvre poétique, notamment “A Praça da Canção” (1965) et “O Canto e as armas” (1967), ses deux premiers recueils. Il fut pendant longtemps député européen et vice-président du Parlement de son pays. Chez Manuel Alegre, l’évocation de l’exil s’accompagne souvent d’un sentiment de solitude, d’éloignement et de nostalgie du pays natal, comme dans ces extraits d’“Exílio”, du recueil “O canto e as armas” : Éramos vinte ou trinta nas margens do Sena. E os olhos iam com as águas. Procuravam o Tejo nas águas do Sena procuravam salgueiros nas margens do vento e esse país de lágrimas e aldeias pousadas nas colinas do crepúsculo. Procuravam o mar. Éramos vinte ou trinta nas margens do Sena sentados ausentes. Cependant, pour Manuel Alegre, cette évocation sert aussi à mieux souligner l’état de dégénérescence d’un Portugal ruiné par la guerre coloniale et par la dictature, obligeant des milliers de Portugais à s’expatrier et à vendre leur force de travail. Suprême humilitaion pour un peuple qui connut un passé si glorieux! Alors, dans les poème ci-dessous, le lyrisme prend un ton de protestation: LATITUDES n° 27 - septembre 2006 Estes barcos que partem com homens e armas não já para colher além do mar a terra mas para levar além do mar a guerra. (Extraits de Explicação de Alcácer Quibir) Minha pátria sem nada sem nada despejada nas ruas de Paris. .......... Foi a terra que não te quis ou alguém que roubou as flores de abril? (Extraits de Portugal em Paris) Manuel Madeira (né en 1936, en Alentejo), militant actif contre le fascisme portugais et contre la guerre coloniale. En arrivant en France il travaille comme ouvrier aux usines Renault et plus tard va côtoyer de grands noms de la poésie et du cinéma français (Jacques Prévert, Jacques Tati). Passionné par le Septième art, il part pour fréquenter un cours de cinéma en Pologne et, de retour en France, enseigne cette discipline à l’IDEC et à l’Université. Puis il réalise plusieurs films documentaires sur l’immigration en France (“O presépio português”, en 1977; “Crónica de emigrados”, en 1979) et collabore dans d’innombrables revues. M. Madeira a commencé à écrire de la poésie à l’âge de 19 ans, a publié en français “Les mois chauds” (Éd. PJO, Paris, 1973) et cache dans ses tiroirs des dizaines de poèmes inédits. Son poème “Je ne suis qu’un cri” nous rappelle l’épopée satanique de Victor Hugo, “La fin de Satan”, thème métaphorique de la rédemption par l’amour, dans lequel l’ange lutte afin d’éviter sa chute inéxorable dans l’abîme: Je ne suis qu’un cri suspendu au loin Très loin d’ici .......... M’étant déchiré pendant toute l’après-midi le soir venu me voilà devenu abîme ........... Etourdi par la chute vertigineuse je divague toute la nuit sur des plaines incommensurables où des jambes immenses comme des cimes barrent mon chemin et le font devenir labyrinthe. José Augusto Seabra (né en 1937, à Vilarouco, près de São João da Pesqueira, décédé à Paris, en mai 2004), poursuivi par la police salazariste, il s’exile en France en 1961. Poète, essayiste, diplomate et homme politique, il est aussi l’auteur d’une thèse de doctorat défendue à la Sorbonne, en 1971, sur Fernando Pessoa et ses hétéronymes. J. Augusto Seabra a publié de nombreux poèmes dans des livres, des revues et des journaux français, portugais et étrangers. Parmi ses derniers livres de poésie, citons “Gramática grega” (éd. Nova Renascença, Lisbonne, 1985), “Sombras de nada” (éd. Quetzal, Lisbonne, 1996), “Amar a sul” n° 27 - septembre 2006 LATITUDES (éd. Movimento, Porto Alegre, 1997), “Oximoros” (éd. Granito, Porto, 2001) et “Tangos mentais” (2002). De “Gramática grega” nous avons extrait ce poème, “Azular o silêncio” : da luz, ó rumorosa sombra de água e de sol, acordando radiosa num perfume de incenso, num espasmo de rosa. José Carlos González (né en 1937, à Lisbonne), de parents émigrés espagnols, a fait des études de Droit, exerce le journalisme et a traduit A. Camus et A. Malraux. En 1971, les éditions La Pensée Universelle publient son livre “Les correspondances”, d’où nous tirons ce court poème : La famille à lunettes Ils étaient assis au bord d’un quai paisible de la Seine et le soleil manquait. Un vent très fort emportait bien loin les soucis et les peines Teresa Rita Lopes (née en 1937, en Algarve), est diplômée de la Faculté de Lettres de Lisbonne, a vécu exilée à Paris pendant onze années (de 1963 à 1974) et a soutenu une thèse de doctorat à la Sorbonne, sur le poète Fernando Pessoa. Aujourd’hui elle est professeur à l’Université Nouvelle de Lisbonne. Dramaturge et poétesse, T. Rita Lopes a publié, parmi beaucoup d’autres livres, “Os Dedos Os Dias As Palavras” (Éd. Figueirinhas, Porto, 1987) et “Afectos” (Éd. Presença, Lisbonne, 2000), deux recueils de poésie dont le lancement a eu lieu à la Librairie Lusophone de Paris. Elle a déjà reçu deux prix importants pour son œuvre poétique: celui décerné par la Mairie de Lisbonne et le prix Eça de Queirós. Ci-dessous, quelques vers tirés du recueil “Os Dedos Os Dias As Palavras”, qui nous donnent un bref aperçu de son écriture simple et dense à la fois, rythmée par le duel permanent ente le corps, le souffle et les mots : Agora não agora nunca mais Passou a hora Agora já fechei as portas todas e atirei as chaves ao mar Agora marquei bilhete para partir de madrugada Agora já vou a caminho Houve um tempo em que todos os caminhos do meu corpo teriam tido os nomes que lhes desses Agora não Devolveste-os ao nada ao sem sentido de coisas existindo Passou a hora Gabriel Raimundo, journaliste et écrivain, a également vécu la douloureuse expérience de l’émigration pendant les années 60-70. A surtout publié des contes pour enfants et des chroniques de l’émigration, “Construtores de Pontes, Usinas e Maisons”, en 1981, une précieuse contribution pour l’histoire de l’émigration portugaise, mais aussi de la poésie (“Natal crítico” et “Gritos de guerra”, en 1980). 41 nesta noite nevoeiro e neblina iluminada e a chuva miudinha são lágrimas choradas antes do grito de revolta. Domingos Batista Trindade (né en 1943, à Vale de Vargo, en Alentejo), fils de paysans, de 1965 à 1967 il est envoyé pour faire la guerre en Afrique et en 1969 se réfugie en France. Est membre du Cercle des Poètes Lusophones de Paris, a participé aux émissions de poésie à Radio Alfa et quelques uns de ses poèmes figurent dans l’“Antologia do C.P.L.P.”. Dans ces extraits du poème “Porque me julgas assim”, Batista Trindade s’insurge contre le rejet ou le mépris dont furent souvent victimes les travailleurs immigrés et il nous rappelle le devoir de mémoire : Porque me julgas assim Eu que sou o teu amigo Eu que faço a tua casa Tudo faço nada digo Noutros tempos que lá vão Quando foi a grande guerra Esteve cá o meu avô A defender esta terra E tudo o tempo levou Até a boa memória Mas o tempo nunca leva Tudo o que fica na história. Laureans (pseudonyme de Laureano C. Santos), est né à Olivença, où il vécut très peu de temps. Attiré par le courant anarchiste, poursuivi par la PIDE, il s’exile en France. J.Augusto Seabra le définit comme le poète “andarilho de uma diáspora” (bourlingueur d’une diaspora), qui a parcouru une quarantaine de pays et exercé des dizaines d’activités. Son œuvre est assez éclectique. En 1987, La Pensée Universelle publie son livre “Poésie d’un fou” et récemment paraissent ses deux livres de “proésie” (prose et poésie) : “Simples Mente Contra Dito R” (1998), en Édition de l’Auteur, avec le soutien du Centre d’Études Régionales du Minho, et “Viana do Mar” (2001), édité par le Centre Culturel do Alto Minho. De ce recueil, illustré par des photos artistiques de Rui Carvalho, nous avons choisi ces vers : No meu sonho... é tão sublime quando me divido em pétalas para cobrir teu corpo aveludado, apaixonadamente receptivo à fragância do meu nectar sobre ti irradiado. Fernando Morais (né à Vila Nova de Gaia), réfugié à Paris en 1963, a collaboré dans divers journaux et revues de l’immigration et a publié “As ruas da Comuna”, sur le Paris révolutionnaire de 1871 et aussi “A cidade ocupada pela poesia” (éd. Peregrinação, 1983), d’où nous tirons cette strophe : Vemos folhas caírem do espaço acima de nós 42 Marília Gonçalves (née en 1947) a vécu de longues années entre son Algarve natal et la France, où elle arrive pour la première fois en 1962. Ses premières lectures (entre autres, celle du poète brésilien abolitionniste Castro Alves) n’ont fait que consolider en elle une éducation familiale fondée sur des valeurs telles que la fraternité et la liberté, thèmes récurrents de sa poésie. A participé dans de nombreux récitals, militante politique anti-salazariste, Marília Gonçalves fut aussi une animatrice assidue de la première radio libre franco-portugaise de la région parisienne, Radio Club Portugais, dans les années 80. En 1991, les éditions ACAP 77 publient à Paris son premier recueil de poèmes intitulé “À procura do traço” et tout récemment, en juin 2006, Marília Gonçalves a reçu le prix “Dar voz à poesia”, organisé par la Mairie de Ovar (région de Aveiro) pour son poème “O Relógio da Torre”, dont voici quelques vers : Para quê saber o fundo da angústia Este uivo vendaval que cedo surpreende Para quê conhecer a hora da argúcia Quando voam gaivotas sobre corpo de sede. Remoinhos nos olhos levantam pensamentos Onde folhas de Outono poisaram tristemente O cofre das lembranças e o de sentimentos Deixam voar saudades a desfazer-se sempre. Só uma badalada no pêndulo da torre Por uma hora magra breve que nos resta Enquanto sobre nós cada dia que morre Na espessura da noite vai cobrir a floresta. António Barbosa Topa (né en 1948, à Porto), se réfugie en France en 1969 pour échapper à la guerre coloniale. A été responsable du secteur associatif à LATITUDES n° 27 - septembre 2006 l’ambassade du Portugal, à Paris, est actuellement professeur d’éducation spécialisée et interprète. Certains de ses poèmes ont été sélectionnés dans les anthologies “Mais do que ler é necessário adivinhar” (Coimbra, 1970) et “Vozes dos Emigrantes” (Paris, 1981). Signalons enfin ses deux recueils de poèmes : “O fio da palavra” (Paris, éd. ACAP 77, 1993) et “Sur les lèvres du silence/Pelos lábios do silêncio” (éd. Lusophone, Paris, 2000), dont sont extraits ces vers : Procurar o sol e a bruma nos olhos da noite Nunca esmorecer Um dia há-de haver um barco insólito pelos lábios do silêncio por onde entramos no segredo da cor com mãos luminosas de espanto No osso mais sensível do grito o corpo acende puros rituais de conivência e erosão lento circular de areias tenebrosas trémula aventura onde apodrece o desejo a hesitar de respiração presa por entre as ervas sibilinas dos sortilégios do amor. E assim a morte avança na frescura dos gestos cicatrizes de negro e azul inscritas no ombro dos tumultos. Figuras mediterrânicas (in “Mediterrâneo”) Maria da Conceição de Vasconcelos (née en 1949), immigrée en France il y a trente ans, a publié deux recueils de poèmes : “Brisas” (Lanhelas,1994) et “No poente incendiado” (Lanhelas,1997), en Édition de l’Auteur. Épopée des temps modernes, cette période difficile et souvent tragique que fut le “salto” (passage clandestin des frontières) est souvent comparée, chez la plupart des poètes que nous présentons ici, à l’aventure des Grandes Découvertes maritimes portugaises, revêtant parfois des accents nettement mythologiques et patriotiques comme dans ce poème de Maria da Conceição Vasconcelos, “A Herança”, tiré de “Brisas” : Trago em mim a imensidão de um oceano de ondas revoltadas, encapeladas, de tempestades abrandadas de brisas salgadas de gotas de suor, de sangue lusitano. Manuel Sousa Fonseca (né en 1951, à Fafe, province du Minho), est venu en France dans les années 70 fuyant la guerre coloniale portugaise en Afrique. Écrivain, journaliste et poète anti-conformiste - “provocateur du quotidien” - dit de lui le professeur F.Capela Miguel dans la préface du dernier recueil de poèmes que M.Sousa Fonseca vient de publier, en édition bilingue, sous le titre de “Olhares no fio do tempo” - Regards au fil du temps, collection “Témoignages”, éd. Lusophone, Paris, 2003. Maria Graciete Besse (née en 1951, à Lisbonne), diplômée en Langues Romanes (Lisbonne), professeur et directrice d’UFR à l’Université de Paris IV-Sorbonne, a écrit de nombreux articles et livres sur les littératures portugaise et brésilienne, plusieurs romans et aussi deux livres de poésie publiés aux éditions Ulmeiro (Lisbonne) : “Olhar fractal” (1996) et “Mediterrâneo, um nome de silêncios” (2000). Les poèmes présentés ci-dessous nous permettent de découvrir une écriture simple et élégante à la fois, et une manière d’exprimer ses sentiments avec pudeur, tout en filigrane: Alquimia inquieta (in “Olhar fractal”) Na nervura das palavras o sangue captura o rumor da cidade febres turbulentas encostadas à substância do mundo silêncios nocturnos n° 27 - septembre 2006 LATITUDES Não é verde, azul ou negro Este mar fechado entre dois lábios da terra. Não é longe nem perto este silêncio de viagens incompletas, ondas, errâncias rumores de destinos para sempre naufragados em cais de chegada. Não é amargo nem doce este percurso com aves embriagadas de espaço gritos, murmúrios breves a dilatarem a luz mais transparente. Branco é este mar antigo e próximo cltivado de memória e aridez. Branco é este mar de palavras inquietas onde o pólen do futuro esvoaça levemente sobre a poeira do passado, rastilho que acende beleza das ânforas, a mortalha dos navios com o inalterável perfume da distância. Lídia Martinez (née à Lisbonne, en 1952), a fréquenté les écoles de Beaux-Arts à Lisbonne et à Paris, s’est formée également en danse classique et art dramatique. Dans ses spectacles elle inclut souvent ses propres poèmes. En 2001 paraît son recueil de poèmes “Um adeus perfeito”. Alice Machado, originaire de la province de Trás-os-Montes, quitte son pays au début des années 1970, encore très jeune, pour venir s’installer en France, où elle fit des études de Littérature. A déjà publié quatre romans, dont “ Les silences de Porto Santo”, qui lui valut le prix spécial du jury littéraire décerné par la revue Elle, en 2003. En 2000 elle avait fait partie des auteurs invités au Salon du Livre de Paris. A publié également deux livres de poésie en français : “Éclats” (éd. 43 Lanore, Paris, 2000) et “L’agitation des rêves” (éd. Lanore, Paris, 2002) d’où sont extraits ces vers impressionnistes, empreints de nostalgie mais aussi de tragiques souvenirs : Lapis lazuli C’était au crépuscule d’un jour En octobre je crois, J’étais ivre, comme toujours Je regardais les bateaux dériver Assise sur un rocher de Leça Une ville maritime Antonio Nobre était là le poète désespéré Seul, en silence, déjà en deuil de moi Et puis à ma droite il y avait mon ancêtre L’immense Miguel Torga Lui, il me parlai une langue que j’avais entendue autrefois dans mon enfance là-bas, en plein coeur de ma patrie intérieure maintenant brisée pour moi dans une ville de granit un soir traversant avec mes frères une rivière qui cache une frontière et les gardes, qui tirent sur les enfants, l’effroi... Cristina Semblano (née en 1955, à Ovar, près de Aveiro) est arrivée en France à l’âge de 16 ans. À Paris, elle conclut avec succès des études supérieures de Gestion. Parallèlement à son activité professionnelle (la Banque) C. Semblano mène une intense activité de militante politique. Ses premiers poèmes sont publiés dans Jornal do Fundão et dans la revue Latitudes, ou bien encore récités lors des rencontres poétiques qu’elle organise en compagnie d’autres poètes et musiciens du monde lusophone. En juin 2004, les Éditions Lusophone publient, dans la collection “Témoignages”, son premier recueil de poèmes intitulé “A minha língua”. Ses textes sont écrits en portugais ou en français: dans sa langue maternelle lorsqu’elle exprime des sentiments plus intimes, et en français quand elle évoque des aspects plus sociaux de la réalité quotidienne du pays d’accueil. Le sous-titre de ce recueil, Confessions en portugais et en français, traduit le caractère intimiste de la plupart de ses poèmes. C’est aussi sur le ton de l’intimité et même de la confidentialité qu’elle nous parle de Dieu et du Sacré, comme dans le poème intitulé précisément “Confidência” (extraits) : Sabes ? Gosto de Vinho e de Fado Adoro Poesia Leio Mia e Saramago. Não sei se Deus existe Mas gosto do Sagrado Dos véus que encobrem E se rasgam no Pecado. Comme des milliers de ses compatriotes, Cristina Semblano a des racines ici et là-bas. Déchirée entre l’appel du “Bleu lumineux et chaud du Sud” et “Les 44 nuits froides de Paris”, l’auteur ne peut que se résigner, comme dans le poème “S’il y avait un pays...” : Mais quand je pars Dans ce pays De rêve Je songe souvent Aux eaux de la Seine Miguel Morgado (né à Lisbonne, en 1962, décédé en 2002), fils du poète Fernando Ilharco Morgado, a fait deux longs séjours en France, avant de rentrer définitivement au Portugal en 1981. S’est consacré à la peinture et à la photographie. Une édition posthume de ses poèmes écrits en français et traduits par son père a été publiée sous le titre “A espiral magnética” (éd. Maginar, Lisbonne, 2004). L’ensemble des poèmes réunis dans ce livre constitue un véritable hymne à la nature, au sein de laquelle souvent l’auteur se réfugie, comme dans “Margem inerte” et “O gafanhoto” : A margem estava inerte, isolada. Nenhuma concha. O mar estava lá mas ela não se mexia. Inerte, estava lá. Nenhuma sombra, só a minha. E eu mergulhava no mar, Sozinho, Sem estribilho. O gafanhoto verde penetra nos rochedos o gafanhoto verde penetra na relva o gafanhoto verde penetra na natureza o gafanhoto verde chega à aldeia o gafanhoto verde escapa-se da aldeia o gafanhoto verde penetra nos meus sonhos. Maria de Lurdes da Silva Loureiro (née à Covêlo Ferreira de Aves, district de Viseu) émigre en France à l’âge de 15 ans, conclut des études secondaires et travaille dans la couture. Lurdes Loureiro fut une animatrice assidue de l’émission consacrée à la poésie à Radio Alfa et actuellement est une des responsables du Cercle des Poètes Lusophones de Paris. Ses thèmes préférés, présents dans les poèmes sélectionnés pour l’“Antologia do C.P.L.P.” sont l’amour, le rêve ou la solitude, comme dans “Em mim” : Há dentro de mim um lago, um jardim e muita, muita flor há dentro de mim um deserto e um oásis nos confins perdido sopro de consolação a minha solidão. Paula Gonçalves (née en 1965) a émigré avec ses parents, a effectué des études de Portugais à la Sorbonne et exerce le journalisme. A collaboré dans diverses publications bilingues et quelques uns de ses LATITUDES n° 27 - septembre 2006 poèmes font partie de l’“Anthologie Portugaise Contemporaine” (éd. Minerva). Par ailleurs, en 2002, elle publie son recueil de poésie intitulé “Âncora estilhaçada” (Éditions Lusophone, Paris) qui évoque le dilemme et les souffrances de tous ces hommes et ces femmes écartelés entre deux rives, entre deux cultures. Bien que fortement attachée à son pays natal et à sa langue maternelle, sentiments qu’elle exprime parfois avec beaucoup de mélancolie, Paula Gonçalves parvient à se libérer des stigmates de l’immigré déraciné et déboussolé. Elle assume et revendique pleinement sa double identité, portugaise et française car, nous dit-elle dans l’Épilogue du recueil cité plus haut : Deixei-me guiar pelo caminho do mundo, palmilhando freneticamente os aromas longuínquos que chegavam à Cidade Luz a cada esquina, a cada passo. Olga Diegues (née en 1967, près de Bragança), ses parents étaient bergers dans la province de Trás-osMontes. A 19 ans elle arrive à Paris et travaille comme jeune fille au pair, tout en poursuivant ses études secondaires. Travaille comme secrétaire. Outre sa participation aux émissions de poésie de Radio Alfa, Olga Diegues a de nombreux poèmes publiés dans “Poiesis Antologia de poesia e prosa-poética portuguesa contemporânea”, vol. 5, éd. Minerva, 2000, et aussi dans l’“Antologia do C.P.L.P.”, comme “Solidão”, d’où sont extraits ces vers : Segue-me passo a passo A minha solidão Sombra da minha sombra. Já não a detesto necessito-a Como se fosse o meu ópio! Procuro-a no canto da casa No olhar dos outros Além do horizonte... Frankelim Amaral (né en 1976, à Cova do Lobo, près de Aveiro) est arrivé seul en France à l’âge de 16 ans. Collabore dans des revues et des journaux portugais ; en 2000 il publie à compte d’auteur son premier livre de poésie intitulé “O grito do silêncio”. Frankelim Amaral est aussi membre do Cercle des Poètes Lusophones de Paris. La saudade, l’amour, la solitude et aussi la révolte (d’où le titre de son recueil de poèmes) sont ses principales sources d’inspiration. Filipe Pereira (né en 1978, région parisienne), a effectué de brillantes études de Droit, est conseiller municipal dans une commune de la banlieue parisienne et est un des animateurs du Cercle des Poètes Lusophones de Paris. Certains de ses poèmes ont été publiés dans la presse périodique et sélectionnés pour l’anthologie organisée par le Cercle des Poètes Lusophones de Paris et les Éditions Lusophone. Plusieurs de ses poèmes évoquent des faits historiques et héroïques de son pays d’origine : “Viriato”, “Povo português”, ou bien “Seremos vento”, d’où nous tirons ces vers : Seremos vento camaradas, Indo por incógnitas terras n° 27 - septembre 2006 LATITUDES BIBLIOGRAPHIE • Pourquoi l’immigration en France ?(Critiques des idées reçues en matière d’immigration), Albano Cordeiro, Office Municipal de Créteil, 1981, 142 p. • Enfermement et ouvertures : les associations portugaises en France, coordination de A. Cordeiro, CEDEP, Paris, 1986, 136 p. • Thos: chuchotements dans l’arrière-cour, Collectif Centopeia, Paris, 1985, 64 p. • Portugais et population d’origine portugaise en France, Jorge Rodrigues Ruivo, éd. L’Harmattan, Paris, 2001, 250 p. • Portugais à Champigny, le temps des baraques, de MarieChristine Volovitch-Tavares, revue “Autrement”, n° 86, avril 1995, Paris, 154 p. • Portugais de France, revue Hommes et Migrations, n°1210, Paris, déc.1997, 176 p. • Images réciproques France-Portugal, Actes du colloque, ADEPBA, Paris, 1992, 512 p.. • Portugais de France, citoyens d’Europe : état des lieux et avenir, Actes des Assises de la Communauté Portugaise de France, avril 1993, ACAP 77, Dammarie-les-Lys, 150 p. • Lieux de vie et circulation des Portugais de France, coordination de Béatrice de Varine, Interaction FrancePortugal, Paris, 2000, 238 p. • Les Portugais et le Portugal en France au XXe siècle Actes de la rencontre organisée par le Groupe de recherche EPOCA, le 8 décembre 2001- B. D. I. C. de Nanterre, 2003, 94 p. • Vozes dos Emigrantes em França, António Cravo et J. Rebelo Heitor, Paris, 1982, 260 p. • Da outra margem, anthologie de poètes portugais émigrés, organisation et préface de Maria Armandina Maia, 2e éd., Instituto Camões, Colecção Diáspora, Lisbonne, 2001,175 p. • Antologia do Círculo dos Poetas Lusófonos de Paris, Éditions Lusophone / Cercle des Poètes Portugais de Paris, 2004, 327 p. Contra exércitos, armadas, Serão as noites cruéis guerras E os dias fresca vitórias. Ainsi, comme nous pouvons constater, l’expression lyrique des poètes portugais exilés ou immigrés en France depuis les années 1960-70 traduit, pour la plupart d’entre eux, plutôt un état d’esprit qu’une préoccupation esthétique. Toutefois, faisant partie d’un espace culturel bien caractéristique, les poètes portugais exilés ou immigrés en France sont aussi des créateurs et des innovateurs de formes culturelles, n’échappant pas aux influences de la société dans laquelle ils s’insèrent et vivent depuis trois générations. En somme, la poésie immigrée est, elle aussi, le reflet des interrogations, des attentes ou des crises de la propre existence humaine. 45