ANALYSE DE TRADUCTION : LES TRAVAILLEURS DE LA MER DE VICTOR HUGO PAR JOAQUIM MARIA MACHADO DE ASSIS Florence Gaillard* RESUMO: Crítica de tradução da célebre obra Les travailleurs de la mer do escritor francês, Victor Hugo por Machado de Assis. RESUME: Critique de traduction de l’œuvre célèbre Les travailleurs de la mer du écrivain français, Victor Hugo, par Joaquim Machado de Assis. PALAVRAS-CHAVE: Os trabalhadores do Mar; crítica; Machado de Assis. MOTS CLES: Les travailleurs de la mer; critique; Machado de Assis. Nous présentons dans les lignes qui suivent une étude de la traduction de Machado de Assis – l’un des auteurs brésiliens les plus connus - de l’œuvre Les travailleurs de la mer écrite par Victor Hugo. Nous nous livrerons à une étude détaillée tant du corps du texte que de sa structure, et tenterons de mettre en exergue les points faibles et les points forts de la traduction. Nous ouvrirons au passage le débat sur les différentes prises de position du traducteur et nous pencherons entre autre, sur le bien fondé de certains choix faits par Machado de Assis, et par les traducteurs en général. Notre objectif n’est donc pas ici de présenter uniquement une critique de traduction, ce qui reste toutefois la partie principale de notre travail, mais également de conduire les traducteurs à se poser des questions fondamentales sur certains de leurs choix, sur leur relation avec le texte original et leur position par rapport à l’auteur. Le but de ce travail est également de permettre au public lecteur de réaliser combien une traduction, même excellente de prime abord, comme c’est ici le cas, peut changer l’ambiance du texte, parfois le sens, et faire obstacle à la compréhension de la philosophie de l’auteur, et de l’auteur lui-même. D’un point de vue analytique, nous analyserons successivement les points suivants : oeuvre choisie et auteur du texte original, à propos du traducteur. à propos de l’œuvre originale. analyse détaillée du texte traduit. réflexions et conclusion. Victor Hugo, l’auteur de l’œuvre mise en analyse est une des grandes figures de la littérature française. Il est né à Besançon en 1802 - fils d’un comte et général de Napoléon – et quitta notre monde au sommet de sa gloire, en 1885. Entre ces deux dates, se jalonne le parcours d’un homme de génie. A la fois poète, philosophe, homme politique mais aussi et avant tout, homme de cœur dont l’œuvre est marquée par une grande compassion, pouvant aller jusqu’à la révolte, à l’égard de la souffrance humaine. Dès l’âge de 15 ans, il se passionnera à la fois pour les mathématiques – se préparant à l’école polytechnique – et pour les vers. Cela lui vaudra d’être couronné deux fois par la société littéraire des jeux floraux et d’être distingué par l’Académie française en 1817 (15 ans) pour une pièce : « Les avantages de l’étude ». Son talent est ainsi reconnu très jeune. Tout d’abord poète et monarchiste, il devient ensuite chef de file du mouvement romantique. Il atteindra très vite la célébrité. Il est élu à l’Académie Française en 1841 et Pair de France en 1845. Cette même année, un événement brutal le bouleversera : la mort de sa fille Léopoldine. Il lui écrira le magnifique poème: « Demain, dès l’aube ». Sobre, pur et touchant testament d’amour d’un père pour sa fille aimée. En 1848, il devient républicain et affiche son hostilité à Napoléon III, ce qui lui vaudra d’être exilé à Jersey puis Guernesey. Pendant ce long exil qui dura près de vingt ans, il produit une grande partie de son œuvre. Lorsqu’il reviendra en France, il sera perçu comme le symbole de la résistance républicaine au second Empire. Il sera élu député de Paris, puis sénateur. La politique prend une grande place dans son existence. Aimé du peuple qui sent en lui un fervent défendeur, il est aussi reconnu des littéraires. Le plus populaire des écrivains français et grand défenseur de la République, aura en fin d’existence des funérailles nationales et civiles grandioses qui se dérouleront à Paris, en présence des plus grandes personnalités de l’époque. Chacun sait déjà que ce n’est qu’un corps que l’on enterre car les œuvres de Victor Hugo lui survivront**. Quant au traducteur, il s’agit de Machado de Assis, fondateur de l’Académie Brésilienne des lettres. Celui que l’on appelle parfois « maître », compte tenu de sa maîtrise remarquable de la langue portugaise, est né à Rio de Janeiro en 1839, dans des conditions qui ne laissaient guère présager, pas même espérer, le grand destin qui l’attend. Né dans une famille pauvre, il est métis, épileptique, bègue et il se retrouve très jeune orphelin de père puis de mère. Il n’a bien entendu pas accès à la scolarité. Il va apprendre seul à lire et à écrire, et à étudier le français. A 15 ans, il publie déjà ces premiers vers. Avant de devenir fonctionnaire public et un homme de lettre reconnu de tous, il exercera au cours de son existence les métiers de conteur, journaliste, poète, romancier mais aussi, activité beaucoup moins connue, celle de traducteur. Laissant de côté le célèbre écrivain, nous allons découvrir dans la présente étude Machado de Assis traducteur. Il éprouva tout au long de son existence une vive passion pour la littérature étrangère, en particulier française, langue qu’il écrit parfaitement. Il est personnellement ouvert à la littérature étrangère et la considère comme une source d’enrichissement du patrimoine culturel de sa propre nation. Il étudiera largement les auteurs étrangers et ira même jusqu’à traduire de grands noms de la littérature étrangère comme l’américain Edgar Poe, l’italien Dante, en passant par l’anglais Shakespeare, les français Dumas, Victor Hugo... La traduction est pour lui une source d’inspiration – ce qu’il ne niera pas – . Lorsqu’il traduit Les travailleurs de la mer en 1866, il n’est pas encore connu. Il n’a jamais élaboré véritablement de théorie de la traduction. Pourtant, en lisant son œuvre, il ressort que sa position à cet égard est la transparence du traducteur, une bonne connaissance du domaine traduit et des langues de départ et d’arrivée. C’est donc dans cet esprit, tout du moins c’est ce à quoi nous pouvons nous attendre, qu’il va traduire en 1866 son célèbre contemporain français: Victor Hugo. Ce dernier est alors en exil, mais il inonde la France puis le monde, de son œuvre brillante et bouleversante. Machado de Assis évolue au sein de la société littéraire et artistique de Rio de Janeiro, qui est à l’époque largement imprégnée de culture française. Les travailleurs de la mer a été écrit à Guernesey entre 1864 et 1865, alors que Victor Hugo vit son long exil. Il fut publié l’année suivante à Paris et Bruxelles. Cette œuvre, largement imprégnée du lieu de vie de Victor Hugo et de l’ambiance de recueillement forcé dans laquelle il se trouve, est la description d’un combat entre l’homme et la nature, représentée ici par la mer. Il n’est fait aucune référence directe dans ce roman, au contexte politique de l’époque. L’homme et la mer se divise en trois parties: La première partie intitulée « Sieur Clubin », présente les principaux acteurs et met en place l’intrigue : Mess Lethierry, vieil armateur de Guernesey, est propriétaire d’un bateau à vapeur, la Durande, qui assure la liaison avec Saint-Malo. Cela engendre le mécontentement des marins de l’île qui voient d’un mauvais œil le progrès technique. Clubin, l’un d’eux, échoue volontairement le navire sur des récifs mais lors du naufrage, il est emporté par une pieuvre géante et disparaît. Lethierry promet la main de sa nièce, Déruchette, à celui qui réussira à sauver au moins les machines du navire. La deuxième partie est intitulée « Gilliatt le malin ». Il s’agit de la partie centrale du roman. Gilliatt, un pêcheur solitaire peu aimé de la population de l’île, va relever le défi par amour pour Déruchette. Il en résulte trente sept chapitres relatant le terrible combat mené par le héros contre une nature hostile. Récit profondément initiatique où le héros va résister à la faim, à la soif et à l’épuisement, devoir affronter une profonde tempête et enfin la pieuvre géante dont Clubin avait été victime. Au terme de ce poignant combat, Gilliatt, faisant preuve de génie et de ténacité, parvient à rapporter les machines à Saint Sampson. La troisième partie, intitulée « Déruchette », est beaucoup plus courte mais non moins poignante que l’ensemble du récit. Le héros découvre, en surprenant une conversation, que Déruchette est amoureuse du pasteur Ebenezer et il renonce à celle qu’il aime. Comme Lethierry s’oppose à cette union, il aide les deux amants à s’enfuir et se laisse ensuite engloutir par les eaux. Le texte original que nous allons utiliser pour notre étude est celui paru à Paris en 1866 aux éditions Librairie internationale, sous le titre: Victor Hugo, Les travailleurs de la mer. Le texte traduit utilisé est la reproduction de la traduction de Machado de Assis publiée dans le Diario de Rio de Janeiro, à partir du 15/03/1866, sous le titre: Os trabalhadores do mar Victor Hugo. Nous avons utilisé pour réaliser le présent travail, la version électronique du livre éditée par Virtuals Books1. Nous n’entrerons pas dans le détail de la traduction des trois volumes des travailleurs de la mer par Machado de Assis, ce qui représenterait un travail certes fort intéressant, mais qui n’entre pas dans le cadre du présent article. Il nous est ici apparu opportun de concentrer notre étude sur les quatre premiers chapitres de l’œuvre, soit « Un mot écrit sur une page blanche », « Le bû de la rue », « Pour ta femme quand tu te marieras » et « Impopularité ». Cette approche nous permet à la fois de nous livrer à une étude détaillée et précise de la traduction, mais aussi de découvrir « l’intelligence » et le déroulement de la traduction qui se met en place dès les premières phrases. Pourquoi, dans ce cas, ne pas choisir comme objet d’observation un seul chapitre et en effectuer une analyse extrêmement détaillée ? D’une part car on ne peut pas considérer un chapitre comme un « échantillon représentatif », pour reprendre l’expression utilisée en matière de statistique. Et d’autre part car un passage extrêmement court par rapport à l’œuvre globale, ne permet pas de juger de certains paramètres fondamentaux en matière de traduction relatifs à ce qu’il est convenu d’appeler « la cohérence de la traduction ». Passons à présent à l’étude du texte traduit, de sa structure, de sa forme, du vocabulaire et à l’observation du processus global de traduction. Sur les couvertures, nous notons les titres : dans la version originale: « Victor Hugo Les travailleurs de la mer » et dans la version traduite: “Os trabalhadores do mar Victor Hugo”En petit au-dessous: « Tradução Machado de Assis ». São Paulo: Nova Alexandria, 2002. http://virtualbooks.terra.com.br/freebook/traduzidos/os_trabalhadores_do_mar.html 1 Dans la version originale, c’est le nom de l’auteur qui apparaît en premier, alors que dans la version traduite, c’est le nom de l’œuvre. En France on lit Victor Hugo, au Brésil on lit Les travailleurs de la mer. Les titres des parties ainsi que les titres des chapitres sont également traduits à la lettre. Notons toutefois que dans la version originale, les titres des chapitres sont précédés de leur numéro d’ordre, ce qui n’est pas le cas dans la version traduite. Compte tenu du volume de l’œuvre, cette omission prive le lecteur d’un repère important dans sa lecture, voire dans son étude du texte. En ce qui concerne la présentation, la ponctuation et la structure du texte, on note d’importantes différences entre le texte original et la traduction. Cela peut s’expliquer par la complexité – nous n’utilisons volontairement pas ici le mot lourdeur, car nous le jugeons inapproprié – du texte source. D’une part, les phrases sont parfois longues et leur structure n’est pas toujours classique ou plutôt scolaire, et d’autre part, le texte parait extrêmement dense compte tenu des nombreuses et riches descriptions, mais surtout de la présence rare de retours à la ligne et encore plus rare, de nouveaux paragraphes. Si l’on examine quelques chiffres à ce sujet, l’on constate que le chapitre premier compte : dans le texte original : 1 paragraphe et 3 retours à la ligne et dans le texte traduit : 2 paragraphes et 9 retours à la ligne. Dans le chapitre deux nous avons : - Dans le texte original : 1 paragraphe et 10 retours à la ligne. - Dans le texte traduit : 1 paragraphe et 17 retours à la ligne. Dans le chapitre trois nous avons : - Dans le texte original : 1 paragraphe et 8 retours à la ligne. - Dans le texte traduit : 3 paragraphes et 10 retours à la ligne. Dans le chapitre quatre nous avons : - Dans le texte original : 1 paragraphe et 28 retours à la ligne. - Dans le texte traduit : 3 paragraphes et 41 retours à la ligne. Cette présentation facilite incontestablement la lecture du texte. Ceci dit, à partir du moment où il y a transformation, le lecteur s’éloigne de la pensée issue de l’œuvre originale. Si Victor Hugo a structuré son texte de la sorte, il l’a indéniablement fait en toute conscience. Il y a également très fréquemment une modification de la ponctuation et donc du rythme et de l’ambiance du texte. Dans le chapitre II, premier et unique paragraphe de la version originale, nous avons: « D’abord il avait pour logis une maison « visionnée ». ». Dans la version traduite, nous avons: “Em primeiro lugar, morava em uma casa mal-assombrada.”. Il est assez délicat de juger du bien fondé de cet ajout de virgule. Il est clair que si cela avait été le fait d’un correcteur dans le texte français, Victor Hugo ne l’aurait pas accepter car cela modifie le ton de la phrase et du passage qui suit, pour lequel elle fait figure d’entrée en matière. Sans cette virgule, la phrase perd son ton ironique, et par répercussion le passage qui suit également. En portugais, l’usage de la ponctuation est généralement différent de celui du français. On prend pour référence les règles purement académiques voire scolaires. Les français sont au contraire extrêmement libres quant à l’usage de la ponctuation et en font un instrument d’expression à part entière. La ponctuation est pour certain, comme Proust par exemple, un véritable objet de défi. Nous trouvons également, sans doute dans le cadre de la simplification du texte, des parties de phrases omises. Dans le chapitre I, paragraphe premier, nous trouvons par exemple: « L’homme, jeune encore, semblait quelque chose comme un ouvrier ou un matelot. ». Le passage devient dans la version traduite: « Era ele moço ainda e parecia ser operario ou marinheiro. » « quelque chose comme » a disparu et le ton qu’il véhicule avec. En ce qui concerne le vocabulaire et le sens des phrases, il y a en début d’ouvrage une intéressante fidélité, à part quelques rares écarts comme par exemple dans le chapitre premier, premier paragraphe du texte original où nous avons: « …, un hiver où il gèle à glace est mémorable… ». Dans la traduction, nous avons: « iverno em que hà neve é memoràvel… ». Il y a ici simplification de l’expression par un seul mot qui, même s’il se rapproche du sens original, ne signifie pas totalement la même chose. Il y a assez souvent adaptation au public lecteur. Dans le chapitre I, premier paragraphe du texte original, nous avons: « … la route qui longe la mer de Saint-Pierre-Port au Valle était toute blanche . Il avait neigé… ». Cela devient dans la version traduite: « … a estrada que orla o mar de Saint-Pierre-Port ao Valle assemelhave-se a um lençol branco: nevera … ». Dans la mesure où dans l’esprit de la grande majorité du public brésilien de l’époque – le cinéma n’existait pas encore – un paysage recouvert de neige ne représente rien de concret, Machado de Assis aide le public à imaginer. Ce type d’adaptation nous semble bien venue mais nous regrettons que cela ne soit pas signifié dans une note de bas de page. En effet, en matière de traduction, tout choix de modification du texte original devrait être signalé, voire expliqué dans des notes de bas de page. Il nous semble qu’il s’agit là d’honnêteté intellectuelle par rapport au lecteur, à l’auteur et du traducteur par rapport à lui-même. Dans le même ordre d’idée, nous avons quelques lignes plus bas : « chapelle » dans la version originale qui devient « igreja » dans la version traduite. Le sens du mot chapelle en français, outre l’aspect religieux qu’il véhicule, est en effet équivalent au terme portugais « igreja ». On trouve la pratique de l’ajout de vocabulaire pour faciliter la compréhension dès la première phrase du livre : « La Christmas de 182… fut remarquable à Guernesey », dans la version originale. “O Christmas (natal) de 1822… foi notável em Guernesey”. dans la version traduite. Il y a eu ajout du mot « natal » entre parenthèses. Mais il y a plus grave dans cette phrase, et compte tenu du fait que c’est la première, on est un peu inquiet concernant le texte à venir… Mais fort heureusement, la suite du texte est beaucoup plus fidèle et satisfaisante. Dans le texte original, on a « de 182… », ce qui signifie en français dix huit cent vingt « et quelque », prise de position évidente et pleine de sens de l’auteur. Dans la version portugaise, on improvise une date « 1822… » Et plus surprenant encore, on la fait suivre de « … » qui, dans ce cas, n’ont plus aucun sens. Il ne nous semble pas possible que Machado de Assis ait commis une telle bévue, nous pensons donc qu’il s’agit ici d’une erreur d’impression. Transformation du sens, du vocabulaire et de la structure de la phrase Chapitre II, premier paragraphe de la version originale, nous avons: « … une maison dont l’entrée est barricadée ; le houx obstrue la porte ; on ne sait quels hideux emplâtres de planches clouées bouchent les fenêtres du rez de chaussée ;… ». Alors que dans le texte traduit, nous avons: « O azevinho cresce á porta, as janelas do rés do chão estão fechadas por feios emplastros de taubas pregadas ;…”. Ici la traduction s’éloigne de l’original et change le sens. Dans la version originale « le houx obstrue la porte », tout un symbolisme. Alors que dans la version brésilienne, le houx pousse sur la porte mais ne l’obstrue pas nécessairement. Par la suite, une certaine liberté s’installe par rapport à l’original, aux dépends de la fidélité à la lettre. Dans le chapitre II, premier paragraphe du texte original : « Le Bû de la Rue était une sorte… » Devient dans la version traduite : « A casa mal-assombrada era uma espécie… » Dans le chapitre IV, premier paragraphe, Machado enlève tranquillement un certain nombre de termes et expressions « Rien de plus naturel que cette antipathie. Les motifs abondent. D’abord… » Dans la version traduite, nous avons tout simplement: « Antipatia natural. Sobravam motivos. O primeiro, … » Le fait regrettable dans ce cas de figure est que le sens de la phrase en est changé : « Rien de plus naturel que cette antipathie », n’a jamais voulu dire en français antipathie naturelle « antipatia natural ». On aurait aimé voir davantage Machado de Assis coller au texte original et ne pas faire une correction systématique de la ponctuation et de la structure des phrases pour les rendre plus en conformité avec les grands standards académiques brésiliens. On aurait souhaité le voir s’adapter davantage à la philosophie qui est derrière cette structure. C’est à dessein que les français jouent avec la forme et la structure des phrases. Cela fait partie de l’esprit de la littérature française et il semble que cet aspect – bien français des choses, il faut le reconnaître - ait échappé au traducteur. Il faut toutefois noter que Machado de Assis fait preuve d’une excellente connaissance de la langue française. Il a dû affronter d’importantes difficultés relatives tant au vocabulaire dû à la richesse des descriptions, qu’au rythme dû au caractère vivant, parfois provocateur du texte et du style pas toujours académique. Machado de Assis est par ailleurs parvenu à conserver une ambiance française: noms propres, expressions, tout en rendant l’œuvre accessible au public brésilien. Nous pouvons toutefois regretter à ce sujet quelques indications du traducteur pour orienter le public étranger et lui expliquer certains coups d’œil de Victor Hugo comme l’ironique clin d’œil à Voltaire dans le chapitre II ou certaines couleurs locales ou moqueries comme les bas rouges dans le chapitre I. Sans quoi, il est à craindre que le public non Européen ne saisissent pas l’humour et parfois l’ironie voire la provocation du lecteur qui ressort du texte. Le risque, lorsque le traducteur se donne le droit de transformer le texte de l’auteur pour une raison autre que l’impossibilité de traduire dans sa langue faute de correspondance, réside dans le fait que la nature première de l’auteur et du texte échappent au lecteur. Que serait le texte de Proust entre les mains d’un traducteur bien intentionné qui rajouterait la ponctuation. Toute la logique, la philosophie et le défi qu’a lancé Proust à la conscience humaine s’en trouverait remis en question. Pour ce qui est de l’adaptation du vocabulaire et de la simplification du texte, bien qu’elle soit ici tout à fait acceptable, cette position est toujours discutable. Machado de Assis a pris le parti dans sa traduction de simplifier les formes et structures élaborées, pour en faire des phrases plus « scolaires », ce qui, à notre sens, nuit indéniablement au sens du texte. Dans la traduction, le caractère drôle, vivant, la provocation du lecteur se perdent pour donner un texte plus modéré, plus académique. Néanmoins, pour l’époque, cela n’en reste pas moins une excellente traduction. Nous n’avons en effet noté aucune erreur rédhibitoire relative au sens ou à une modification inacceptable du texte original voire une omission significative. Nous conclurons en rendant hommage à cette première traduction de Machado de Assis des Travailleurs de la mer en portugais qui ainsi permis accessible au public Brésilien de découvrir une grande œuvre de Victor Hugo, et qui reste de qualité satisfaisante par rapport aux traductions du français vers le portugais qui avaient lieu à l’époque. Notons qu’elle reste également de nos jours tout à fait honnête compte tenu du panorama actuel de traduction français-portugais ; cela malgré qu’elle soit relativement éloignée du concept d’invisibilité du traducteur cher à Venuti. *Mestranda em Estudos da Tradução na Pós-Graduação em Estudos da Tradução da Universidade Federal de Santa Catarina. ** Principales oeuvres de Victor Hugo: Odes (Poésies, 1822), Cromwell (Théâtre, 1827), Les Orientales (Théâtre, 1829), Marion de Lorme (Théâtre, 1829), Hernani (Théâtre, 1830), Les Feuilles d'automne (Poésies, 1831), Notre Dame de Paris (roman historique, 1831), Le roi s'amuse (Théâtre, 1832), Marie Tudor (Théâtre, 1833), Lucrèce Borgia (Théâtre, 1833), Les Chants du Crépuscule (Poésies, 1835), Les Voix intérieures (Poésies, 1837), Ruy Blas (Théâtre, 1838), Les Rayons et les Ombres (Poésies, 1840), Les Châtiments (1853), Les Contemplations (1856), La Légende des Siècles (Poésie,1859) Les Misérables (roman, 1862), William Shakespeare (essai 1864), les Travailleurs de la mer (roman, 1866), l'Homme qui rit (roman, 1869), L'année terrible (1872), Quatre-vingt-treize (1874), l'Art d'être grand-père (1877), Religions et religion (1880), Les Quatre Vents de l'esprit (1881), Choses vues (1887). BIBLIOGRAPHIE ARAGON, Louis. Avez-vous lu Victor Hugo. Montreal: L’Arc, 1972. BERMAN, Antoine. La traduction et la lettre ou l’auberge du lointain. Paris: Gallimard, 1984. BERMAN, Antoine. L’Epreuve de l’Etranger. Paris: Gallimard, 1984. BERMAN, Antoine. Pour une critique des traductions. Paris: Gallimard, 1995. FERREIRA, Eliane F. C. Para traduizir o século XIX: Machado de Assis. São Paulo: Annablume; Rio de Janeiro: Academia Brasileira de Letras, 2004. FERREIRA, Eliane F. C. Machado de Assis sob as luzes da ribalta. São Paulo: Cone Sul, 1998. HUGO, Victor. Les travailleurs de la mer. Paris: Librairie Internationale, 1866. HUGO, Victor. Les Misérables oeuvres complètes. Paris: éditions Club français du livre, 1967. HUGO, Victor. Notre Dame de Paris oeuvres complètes. Paris: éditions Club français du livre, 1969. HUGO, Victor. Os trabalhadores do mar. Tradução de Machado de Assis. São Paulo: Virtual Books, Nova Alexandria, 2002. MASSA, Jean-Michel (Org.). 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ANNEXE Repères chronologiques de la vie de Victor Hugo 26 février. 1802: Naissance de Victor Hugo à Besançon. 1804-1815: Premier Empire. 12 octobre 1822: Mariage avec Adèle Foucher. 1827. Publication de Cromwell, dont la Préface joue un rôle décisif dans la naissance du romantisme en France. 1828: Publication d’Odes et Ballades. 1829: Marion de Lorme est interdit par la censure. La pièce sera représentée en 1831 (théâtre de la Porte-Saint-Martin). 1830: Bataille d’Hernani (Comédie-Française). 1831:Notre-Dame de Paris. 1833:Début de la liaison de Hugo avec Juliette Drouet, actrice qui vient de jouer dans Lucrèce Borgia et Marie Tudor (théâtre de la Porte-SaintMartin). 1838: Ruy Blas (théâtre de la Renaissance). 7 janvier 1841: Élection à l’Académie française. 1845: Hugo est nommé pair de France. 13 mai 1846: Élu député conservateur à l’Assemblée législative, Hugo va peu à peu se rapprocher des positions progressistes. 1848: Mouvements révolutionnaires en Europe. Marx et Engels publient le Manifeste du parti communiste. 1851: À la suite du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, Hugo quitte Paris pour Bruxelles. Il s’installe en 1852 à Jersey puis, à partir de novembre 1855, à Guernesey. 1852-1870: Second Empire. 1853: Les Châtiments sont publiés à Bruxelles. 1856: Les Contemplations. 1859: La Légende des siècles (première série). 1862: Les Misérables. 1865: Les Chansons des rues et des bois. 1866: Les Travailleurs de la mer. 1869: L’Homme qui rit. 5 septembre 1870: Retour triomphal à Paris, après la chute de Napoléon III. 1874: Quatre vingt-treize. 30 janvier 1876: Hugo est élu sénateur de la Seine. 1877: La Légende des siècles (nouvelle série). 8 janvier 1882: Hugo est réélu sénateur. 1883: Mort de Juliette Drouet. Publication du tome V de La Légende des siècles. 1885: Mort de Victor Hugo à Paris.